Enseignement sur "Regarder le serpent de bronze" largement inspirée d’une retraite donnée aux consacrés à Gap en septembre 2016 par le père Emmanuel Gobillard Introduction Nb 21,4b-9 : En chemin, le peuple perdit courage. Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Alors, le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie ! 1 – L’élévation sur la Croix, source de Vie dans la Bible - Za 12,10 : Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication. Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils feront une lamentation sur lui, comme on se lamente sur un fils unique ; ils pleureront sur lui amèrement, comme on pleure sur un premier-né. - Za 13,1-2 : Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure. Il arrivera, en ce jour-là, -oracle du Seigneur de l’univers-, que je retrancherai du pays les noms des idoles : on n’en fera plus mémoire. Je chasserai aussi du pays les prophètes et leur esprit d’impureté. - Jn 19,34-37 : Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Ecriture : aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Ecriture dit encore : ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. - Jn 3,13-17 : Nul n’est monté au ciel sinon celui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. - Méditation sur Nb21 Extrait d’une retraite donnée aux consacrés à Gap – septembre 2016 P. Emmanuel Gobillard Le peuple d’Israël, qui se plaint beaucoup, est trop centré sur lui-même et ses difficultés, ne voit les choses que par le petit bout de la lorgnette et manque cruellement d’espérance ; c’est chacun d’entre nous. Nous avons reçu de merveilleux cadeaux de la part du Seigneur qui nous poursuit de son amour et nous ne les voyons pas. Dieu nous aime infiniment, il ne fait que nous aimer, il fait tout contribuer à notre bien et nous passons à côté. Les hébreux, certes, souffrent parce qu’il fait terriblement chaud, parce qu’ils ont faim et soif, parce qu’ils ont quitté leur petit confort, leur nid douillet, leur télévision et leurs charentaises, leurs amis et leur métier, leurs désirs d’une belle carrière en Egypte, leur vie culturelle et sociale, les concerts et les dîners mondains. Comme chacun d’entre nous, ont dû quitter bien des choses pour aller à l’aventure. Finalement, ils ont réalisé leur rêve, si bien exprimé dans le livre du prophète Osée (2,16) : « je t’emmènerai au désert, je parlerai à ton cœur ». C’est le même désert, mais il n’a plus la même saveur. Alors qu’au début ils contemplaient les grands horizons, le vent grisant, aujourd’hui le même vent brûlant est agressif, le désert devient monotone et chaud, la faim et la soif se font ressentir. Au début, ils avaient soif, ils avaient faim, le vent était déjà chaud, le désert était déjà désertique mais ils se perdaient dans les yeux du bien aimé. Ils étaient amoureux ! Ils ressentaient presque physiquement l’amour de Dieu pour eux. Ils étaient heureux parce qu’aimés, parce qu’ « ivres d’amour ». Que se passe-t-il aujourd’hui ? Ils ne ressentent plus cet amour ! « J’ai contre toi que tu as perdu l’ardeur de ton premier amour » nous dit Jésus dans l’Apocalypse 2,4. Leur cœur est desséché et ils ont perdu l’espérance. Dieu les aime toujours, il les aime peut-être même, si c’est possible, davantage ; mais surtout, Dieu leur apprend petit à petit à aimer. Avant, ils aimaient surtout et peut-être sans le savoir, pour ce que Dieu leur donnait. Ils aimaient ressentir l’amour. Ils aimaient peut-être Dieu davantage pour eux-mêmes que pour lui. Ils avaient le souci de réussir leur vie, de répondre à leur vocation, de devenir des saints. Aujourd’hui, Dieu veut que nous renoncions à tout cela ! Oui, vous avez bien entendu : Dieu veut que nous renoncions, y compris à notre désir de devenir des saints. La seule raison de l’amour, c’est l’amour lui-même. J’aime l’autre, non pas pour ce qu’il me donne, pour ce qu’il m’apporte ou ce qu’il me fait ressentir. Je l’aime pour lui-même. Je ne l’aime pas pour être heureux, je l’aime pour lui-même parce que mon seul bonheur, et je le sais au fond de moi, c’est d’aimer gratuitement sans autre motif que l’amour lui-même. Certes, l’homme et la femme sont faits pour le bonheur, mais à trop fixer le bonheur, on en oublie d’aimer et donc on en oublie d’être heureux. D’ailleurs comment je sais que je suis heureux ? Je suis heureux lorsque je n’y pense même pas. Si je me tâte le pouls en permanence pour savoir si je suis heureux, c’est bien que je ne le suis pas ! Ou que je cherche à l’être davantage. Je vous souhaite une vie pleine, une vie exaltante, une vie remplie, dans laquelle vous n’aurez même pas le temps de vous poser la question du bonheur tellement vous serez tendu vers votre objectif : aimer ! Oh vous ne penserez pas à Jésus en permanence, vous n’aurez même pas conscience d’aimer. Vous serez même très occupées à vos tâches quotidiennes. Oui, vous vous donnerez dans les choses les plus simples, dans les tâches les plus humbles, dans les rencontres les plus improbables. Le vrai bonheur se fait oublier ; on aime dans l’action, pas dans l’imagination. Donc, pour en revenir à notre texte, les hébreux ne voient que les petites contrariétés de leurs vies et ils se plaignent de tout. A force de se plaindre de toutes les petites contrariétés de notre vie, nous n’arrivons plus à gérer les grosses difficultés, les vraies souffrances. La grosse souffrance qu’ils vont devoir gérer se manifeste par ces serpents à la morsure brûlante, à la morsure mortelle. Je ne vais pas m’y étendre mais derrière le serpent mortel, vous voyez bien qu’il y a le péché qui se manifeste dans tout ce que j’ai exprimé précédemment, dans ce repli sur soi mortifère qui nous détourne du vrai Dieu et de sa douce providence. Donc les serpents sont mortels, et les hébreux se tournent vers Dieu, enfin, pour lui crier leur souffrance, pour lui demander de les sauver : « Nous avons péché en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents ». Ils prennent conscience, dans les difficultés, de leur péché, du fait qu’ils n’étaient pas auparavant dans la vérité, qu’ils s’égaraient. Dieu répond toujours au cœur qui se tourne vers lui. Le premier mouvement de la conversion, c’est ce cri de l’aveugle-né : « Seigneur, sauve-moi ! » C’est aussi d’une certaine manière un acte d’adoration l sans toi je ne peux rien, tu es la source de mon être, de ma vie. Sans toi, je n’existe pas, sans toi ma vie n’a pas de sens. L’adoration, c’est reconnaître que nous dépendons totalement de Dieu. Pour répondre, Dieu a besoin de ce cri, ce cri par lequel s’exprime notre besoin de lui. C’est un acte d’humilité. Les hébreux lancent donc leur cri au Seigneur par l’intermédiaire de Moïse. Soit dit en passant, l’intermédiaire ici, loin d’appauvrir la démarche, l’enrichit. J’utilise les moyens que Dieu lui-même a mis à ma disposition, je lui fais totalement confiance en me fiant à l’Eglise. La miséricorde de Dieu passe par les médiations que lui-même a choisies. C’est parfois très humiliant, c’est donc le signe que nous agissons avec humilité. La réponse de Dieu est stupéfiante : « Tu veux que je te délivre des serpents ? Eh bien, pour te délivrer des serpents, je te donne un serpent. » (cf Co 5,18-21 : Dieu a pour nous identifié le Christ au péché). Nous nous attendions tout naturellement à ce que le nous propose un remède, un sérum anti-morsure. Il guérit le mal par le mal ou plutôt il nous propose de changer notre regard sur ce que nous considérons comme un mal pour nous. Surtout, il nous invite à regarder le mal en face, à le nommer, à ne pas détourner le regard. Tout ce que la providence met sur notre chemin est une preuve supplémentaire de l’amour de Dieu pour nous. (cf. Sg 16,5-10). Pour grandir, nous devons juste être capables de dire en vérité : « tout est grâce » ! « Seigneur, dans ta providence tu as mis sur mon chemin telle difficulté, telle souffrance, telle blessure. Mon premier réflexe serait de m’en débarrasser ou même de vouloir que tel événement, telle souffrance, tel péché n’ait jamais existé ». Bien sûr c’est impossible qu’un évènement n’ait jamais existé, pourtant nous agissons comme s’il n’avait jamais existé, au point parfois de le gommer de notre mémoire, de tout faire comme si cette blessure n’était rien, comme si cette jalousie que j’éprouve à l’égard de telle personne n’était pas importante, comme si j’étais capable d’oublier telle contrariété, telle phrase humiliante, tel ennui de santé, telle blessure psychologique, alors que c’est sur cette souffrance que Jésus veut me sanctifier. « Lorsque tu es faible, c’est alors que tu es fort ! » (cf. 2 Co 12,10). 2 - L’Eglise ne cesse de se construire sur des blessures, depuis le début. L’église est fondée à la croix. Elle trouve sa source dans le cœur blessé de l’Agneau. Le point de départ de l’Eglise, c’est la blessure du cœur. La question que Jésus pose à chacun d’entre nous est la suivante : « Quelle est ta blessure, quelle est la blessure de ton cœur pour que j’y construise l’Eglise ? Pour que je t’ouvre à la fécondité, une fécondité qui peut être très cachée, même à tes propres yeux mais une fécondité réelle et d’une puissance que tu n’imagines pas, la puissance de mon amour, si ta blessure est offerte, si ta blessure est traversée par la grâce, si ta blessure devient mystérieusement, dans le mystère de la croix, ma blessure ». Nous en avons peur, bien sûr et nous voudrions que le Seigneur passe plutôt par nos qualités ou nos talents pour faire grandir l’Eglise. Rassurez-vous, il le fait aussi, mais seulement après avoir touché nos blessures. Quelle grâce ce texte du serpent d’airain ! Il nous ouvre à une espérance indéfectible, il nous empêche d’être tourné vers le passé, vers nos péchés et nos difficultés, mais il donne un sens à tous les événements que nous croyons subir alors qu’ils nous sont offerts pour notre bonheur, au-delà de tout ce que nous pouvons en comprendre. Devant Dieu, nous avons le devoir de la vérité. Nous devons être vrais devant Dieu et devant nous-mêmes. Ne nous voilons pas la face, nous sommes pauvres, faibles, vulnérables et c’est en cette pauvreté que nous devons puiser la richesse ; en notre vraie pauvreté, pas dans cette fausse pauvreté dont nous nous parons parfois pour éviter d’avoir à affronter la vraie pauvreté. 3 – Avec le pauvre et saint Curé d’Ars L’homme est un pauvre qui a besoin de tout demander à Dieu ! Conclusion : Jn 20,20 Je voudrais qu’ensemble, avec simplicité, nous présentions au Seigneur nos pauvretés. Il y en a parmi vous certains qui ont des pauvretés cachées, uniques, très personnelles et il ne s’agit pas de les faire connaître aux autres. Je souhaite que vous les fassiez connaître à Dieu qui les connait déjà. C’est peut-être vous qui les connaissez mal ! Je n’ai aucunement le désir de réveiller des souffrances ou de susciter une émotion débordante ; je veux juste que vous compreniez en vérité que ce travail de guérison, de vérité est nécessaire. Il s’agit juste de laisser Jésus donner une fécondité à ces blessures. La première étape c’est de les regarder, paisiblement, de les accepter humblement et de les offrir généreusement.